(1873-1957)
Paul de PEYERIMHOFF de FONTENELLE, Inspecteur Général honoraire des
Eaux et Forêts, Correspondant de l'Académie des Sciences, qu'une cruelle
maladie immobilisait depuis 1950, est décédé le 2 janvier dans sa 84e année.
Ainsi disparaît un forestier de grande classe qui, à côté d'une belle carrière
professionnelle, a eu une remarquable activité scientifique.
Paul de PEYERIMHOFF, issu d'une vieille famille alsacienne, né à Colmar,
fut de bonne heure attiré par les choses de la nature; suivant l'exemple de
son grand-père maternel, il songea à la carrière forestière. Entré à l'Institut
Agronomique en 1892, il était admis à l'Ecole Forestière en 1894 avec
la 70e promotion. Nommé Garde général en 1896, après un bref passage dans
les Vosges et un court détachement à l'Ecole, il fut installé à Digne en
1898. Promu Inspecteur adjoint en 1904, il fut affecté au service forestier
algérien et, dès lors, toute sa carrière se déroula à Alger où il occupa
les postes d'Inspecteur en 1912, de Conservateur en 1928. Vers la fin de
sa carrière, il fut chargé des fonctions de Directeur de la Station de recherches
forestières de l'Afrique du Nord, dont il avait contribué à susciter
la création. En 1936, il était admis à la retraite avec le grade d'Inspecteur
général et conservait encore durant quelques années la direction de la
Station de recherches. Il était Officier de la Légion d'Honneur.
Ceux qui ont connu de PEYERIMHOFF n'oublieront pas cette figure originale et sympathique. D'une grande distinction, un peu distant, mais d'une
parfaite courtoisie, sa conversation laissait apparaître une haute intelligence
et une vaste culture. Esprit philosophique, il avait sur les hommes et les
choses des aperçus pleins de finesse et son érudition lui permettait, d'aborder
des sujets variés. Mais ce qui doit rester de de PEYERIMHOFF/ c'est le
souvenir d'un forestier biologiste de haute valeur, qui a largement contribué,
d'une part à établir une juste compréhension de la forêt nord-africaine
et, d'autre part, à étudier la faune entomologique de l'Algérie.
Les idées de de PEYERIMHOFF sur la forêt et le problème forestier en
Afrique du Nord ont été condensées par lui dans une Notice annexée à la
Carte forestière de l'Algérie et de la Tunisie publiée en 1941. De son exposé
ressort une claire définition, d'inspiration biologique, de la forêt nord-africaine,
dont la composition floristique s'explique par les fluctuations survenues
dans la configuration des continents et dans le climat au cours des périodes
géologiques, tandis que les caractéristiques physionomiques découlent
des conditions actuellement imposées par le climat et l'action humaine. Sous
un climat peu favorable à cause de son aridité, soumise à l'action destructive
de l'homme et de ses troupeaux, cette forêt apparaît comme un groupement
complexe d'êtres vivants, une biocénose, dont l'homme et le bétail perturbent
intensément l'équilibre, au point que l'existence de tout le groupement,
y compris la population humaine, est compromise. Le devoir du forestier
est de s'efforcer de réaliser un état d'équilibre qui assure le maintien de la
forêt comme aussi la subsistance des hommes et des troupeaux. La sylviculture
en Afrique du Nord est dominée par une préoccupation biologique;
la question forestière, qui a de profondes incidences sociales et économiques,
est affaire d'équilibre entre êtres vivants. Ces mêmes idées se retrouvent
dans le programme de recherches forestières que de PEYERIMHOFF a exposé
lors du congrès de l'Union internationale des Instituts de Recherches forestières
à Nancy, en 1932. Conserver la forêt, lutter contre l'aridité, est la
tâche principale. La technique forestière ne peut avoir, en Afrique du Nord,
l'importance qu'elle a dans l'Europe occidentale ou centrale, sauf des cas
particuliers, au premier rang desquels il place la culture du Chêne-liège.
De PEYERIMHOFF a été un entomologiste de grande valeur et ses travaux
lui ont valu d'être élu, en 1938, Correspondant de l'Académie des Sciences
dans la section de zoologie. Sous l'influence d'un oncle qui a laissé un nom
en entomologie, il s'est intéressé, dès sa jeunesse, aux insectes. C'est en sa
qualité d'entomologiste averti qu'il a été, au début de sa carrière, chargé,
à l'Ecole, du classement de la belle collection d'insectes constituée, au cours
de sa carrière, par Auguste MATHIEU, Professeur d'histoire naturelle jusqu'en
1880, collection donnée à l'Ecole par ses héritiers, en 1897. Ultérieurement
il s'est affirmé comme un entomologiste de réputation mondiale, spécialiste
notamment de l'étude des coléoptères. Chose curieuse, cette particularité
était assez peu connue du monde forestier. A ses débuts dans l'administration,
de PEYERIMHOFF s'est heurté à la mentalité des anciens forestiers,
techniciens administrateurs et juristes, fermés à la biologie, pour qui
observer des plantes ou des insectes était une occupation oiseuse, sinon nuisible aux intérêts du service. En philosophe bon connaisseur des humains
qu'il était, il a volontiers laissé ignorer aux forestiers qu'il était entomologiste.
Son oeuvre a été analysée par M. ROUBAUD dans une notice insérée
dans les Comptes rendus de l'Académie des Sciences. Il a, au cours de 35
années, publié près de 300 notes ou mémoires; il a découvert et décrit plus
de 500 espèces nouvelles de Coléoptères. « Son oeuvre d'entomologiste, --
écrit M. ROUBAUD, — n'est pas seulement marquante par sa richesse taxonomique; elle l'est aussi par un constant souci d'analyse biologique. Servi
par une culture scientifique remarquablement étendue, il s'efforce d'associer
la correcte distinction des espèces et les déductions ou les synthèses qui touchent à la vie même des peuplements qu'il étudie et à leur passé. » Ainsi ne se contentait pas de nommer ou de décrire des insectes ; il agissait en biologiste, soucieux de pénétrer le comportement de ces insectes,leurs relations avec le milieu, les raisons de leur présence,
L'activité de de PEYERIMHOFF s'est manifestée spécialement dans plusieurs
séries de recherches. Il s'est occupé de l'étude des faunes des cavernes
et a exploré les grottes et les fissures de rochers des montagnes de Kabylie
et de l'Atlas. Il a formulé cette notion, aujourd'hui classique, que le
facteur essentiel de l'habitat cavernicole est l'humidité constante et élevée
du milieu souterrain et que c'est la dessication du milieu qui à amené la relégation de certaines espèces dans les cavernes. Il a montré aussi que la
faune cavernicole du Djurdjura et de l'Atlas comporte un mélange d'espèces
à affinités européennes qui sont des reliques arrivées durant les périodes
pluviales contemporaines des périodes glaciaires de l'Europe, et d'espèces
endémiques, récemment différenciées. Il y a, à cet égard, concordance
complète avec les faits que révèle l'étude de la flore. Une importante contribution a été apportée par de PEYERIMHOFF à la connaissance de la faune entomologique du Sahara, surtout à la suite de sa participation à l'expédition scientifique du Hoggar en 1928. Il a montré qu'il y avait là mélange
de types tropicaux et de types d'affinité méditerranéenne, qui sont des reliques.
Enfin de PEYERIMHOFF s'est attaché à l'étude des biocénoses entre
plantes et insectes; il a étudié notamment en détail la faune de coléoptères
inféodée aux divers résineux de l'Afrique du Nord. Dans le même
ordre d'idées, il a montré, lors du Congrès de l'Union internationale des
Instituts de Recherches forestières en 1932, l'immunité relative de la forêt
méditerranéenne vis-à-vis des insectes parasites. Contrairement à ce qui se
présente dans les forêts de l'Europe moyenne, la forêt nord-africaine, sélectionnée et simplifiée, est robuste et, par leur seule action, les parasites n'y causent jamais de mortalité appréciable.
La personnalité de de PEYERIMHOFF et sa compétence lui ont valu d'être
appelé à présider des congrès et des assemblées scientifiques, tâches dont il
s'acquittait avec grande distinction. De 1931 jusqu'à la guerre il a présidé
le Comité d'études sur la biologie des acridiens.
Paul de PEYERIMHOFF a été un forestier d'exception qui a grandement
honoré le corps. Ses mérites scientifiques ont été parfaitement caractérisés
par M. ROUBAUD : « La vive intelligence, l'érudition exceptionnelle qu'il ne
cessait de développer par des lectures, conféraient à Paul de PEYERIMHOFF
une valeur à part, au sein de la brillante phalange des naturalistes qui ont
honoré l'Afrique du Nord française et contribué à son développement. Dans
les circonstances présentes, la belle figure de ce savant solitaire, de ce grand
seigneur entièrement voué aux disciplines scientifiques auxquelles il avait
consacré son existence, prend pour nous un relief singulier.»
Ph. GUINIER.
http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/27294/RFF_1957_3_219.pdf?sequence=1