accompli une prestigieuse carrière et qui, grâce à ses qualités et du fait des
circonstances, a pu avoir un rôle peut-être unique dans l'histoire de la·
foresterie mondiale.
Paul BOUDY est né à Sarlat (Dordogne) le 5 juillet 1874. Ingénieur agro-
nome, il fit ses études à l'Ecole forestière avec la 71e promotion. Sorti en
1897, après une année de service militaire, il prit place dans le service
forestier algérien comme garde général à Azazga, puis à Oran. De 1904 à
1907, avec le grade d'inspecteur adjoint, il fut affecté au service forestier
de Tunisie, puis revint à Alger dans le service des reboisements. Appelé en
1910 à l'administration centrale, il y resta comme inspecteur adjoint puis
comme inspecteur jusqu'au 21 février 1913. A cette date se place une nominationqui devait décider de son avenir.
Le Général LYAUTEY songeait àprotéger et à mettre en valeur les forêts du Maroc et demandait, à ceteffet, l'assistance d'un forestier. C'était là une préoccupation, assurément peu commune dans les milieux militaires, qui n'étonne pas quand on sait que ce grand chef qui était né et avait passé son enfance dans une maison contigueà l'Ecole forestière et, depuis, englobée dans les bâtiments de cette école,était acquis à la cause forestière. Lui-même a rappelé ces circonstancesle 27 juillet 1930, lors de la remise à l'Ecole de là Croix de la Légion d'honneur.
BOUDY devint chef du service des Eaux et Forêts au Maroc: nommé
conservateur en 1919, il reçut, en 1927, le grade d'Inspecteur général. Investi
de la confiance de LYAUTEY, ayant l'appui de ses successeurs, entouré de
collaborateurs de plus en plus· nombreux et choisis, au dévouement et au
dynamisme créateur desquels il a rendu hommage, il se trouvait, au moment
de sa retraite, en septembre 1940, à la tête d'un magnifique service dont il
avait conçu les bases juridiques, l'organisation administrative, les directives
techniques. En plus de ces fonctions, BOUDY a eu, de 1936 à 1939, la charge
de réorganiser le service de la conservation de la propriété foncière et
du cadastre.
Pour BOUDY, retraite n'a pas été synonyme de cessation d'activité. Il restait
d'ailleurs conseiller du gouvernement chérifien pour les questions forestières.
Mais une nouvelle phase de sa carrière s'ouvrait. 'Mettant à profit son expérience,utilisant les documents accumulés par les services forestiers de l'Afriquedu Nord, complétant cette documentation par des études sur le terrain, notamment en Algérie et en Tunisie, il se consacrait à la rédaction d'un grand
ouvrage. Sou« le titre Economie forestière nord-africaine, cinq volumes ont
paru de 1948 à 1954. Jusqu'à la fin son activité ne s'est pas ralentie. Revenu
dans son pays natal, il se proposait d'agir en faveur de l'amélioration des
forêts et du reboisement du Périgord. Au Congrès de l'Association française
pour l'Avancement des Sciences à Périgueux, en juillet 1957, il a présidé
avec autorité la section Agronomie et Science forestière. Sous son impulsion,
grâce au concours des forestiers régionaux, un véritable colloque forestier
eut lieu, où furent formulées des conclusions sur la restauration
économique par le boisement de la Dordogne et des départements voisins.
BOUDY était officier de la Légion d'honneur, Grand-officier du Ouissam
Alaouite et du Nicham Iftikar. L'Académie d'agriculture l'avait élu membre
non résidant en 1951. En 1956, l'Académie des Sciences lui a décerné, pour
son ouvrage, une haute récompense, le prix Paul Marguerite de la Charlonie.
Avec une égale maîtrise et dans des conditions souvent difficiles, BOUDY
s'est montré administrateur avisé et praticien expérimenté. Pour réussir
dans l'oeuvre qu'il a menée à bien, il fallait un remarquable ensemble de
qualités. D'une belle vigueur physique, d'une vive intelligence, il avait une
énorme puissance de travail, une volonté tenace, une rigoureuse méthode.
Ayant une solide culture juridique et une sérieuse expérience administrative,
il savait aussi observer dans la nature et manifestait un réel sens biologique.
Il a été un animateur de la Société des sciences naturelles du Maroc qu'il a
présidée de nombreuses années. Avant tout, BOUDY a été un chef ; il savait,
sans brusquerie, imposer son autorité, orienter l'activité de ses subordonnés;
il savait aussi convaincre et, avec une fermeté nuancée, faire prévaloir sa
manière de voir.
La tâche confiée à BOUDY en 1913 était ardue, techniquement et politiquement.Les forêts marocaines sont soumises à un climat qui, par l'insuffisanceet l'irrégularité de répartition des précipitations, est médiocrement favorable aux arbres. De temps immémorial, elles ont subi l'action des populationsqui leur demandent du bois, des produits variés et qui, de plus, lesutilisent comme terrain de parcours pour un nombreux cheptel, dans lequelles chèvres tiennent une large place. L'incendie qui, temporairement, régénère l'herbe, mais détruit les arbres et dégrade le sol, sévissait. La forêtmarocaine, fragile, est — il l'a écrit — « en lutte continue contre la sécheresse,l'homme et ses troupeaux ». Il fallait sauver ces forêts, les protéger, poursuivre leur amélioration et cependant assurer la vie des populations qui ne pouvaient subsister sans les ressources qu'elles leur procuraient;il fallait, notamment, maintenir le pâturage « ce point névralgique de laquestion forestière ». Le problème technique se doublait d'un problème délicat d'ordre politique et social.
La question fut hardiment abordée et heureusement résolue. Le service
forestier entra en fonctionnement. A mesure que la possibilité s'en offrait,
il était procédé à la reconnaissance, puis à la délimitation des forêts dont la
surveillance était assurée et qui, progressivement, étaient équipées en chemins et en maisons forestières. De 1914 à 1918, la grande forêt de la Mamora fut organisée; en 1922 les forêts de cèdre du Grand Atlas étaient
abordées; en 1926 les forêts des montagnes du Rif. En même temps était
entreprise et réussie la fixation des dunes mobiles qui enserraient la ville
de Mogador et qui bientôt furent recouvertes, sur 6000 hectares, d'un boisement d'Eucalyptus et d'Acacias. Progressivement, l'action du service forestier s'étendit sur tout le pays. Dans les forêts, désormais délimitées et surveillées, protégées contre l'incendie, des méthodes de traitement furent instituées, des exploitations rationnelles organisées, la régénération des peuplements entreprise. Durant la période de guerre 1940-1944, dans le Maroc isolé, les forêts, protégées et aménagées, ont pu suffire aux besoins en combustible, en bois d'oeuvre, en tanin. Les mesures en faveur des forêts existantes étant prises, un programme de création de peuplements nouveaux fut établi, suivi ultérieurement de l'organisation d'un service de restauration des sols. La création d'une station de recherches forestières était décidée dès 1926. Ces divers services ont pris dans la suite un ample développement.
Ce sauvetage et cette mise en valeur de la forêt marocaine, sans perturbation dangereuse des usages, a été possible grâce à des dispositions
législatives et administratives d'une puissante originalité et d'une rare sagesse. Les forêts marocaines, en vertu du droit local sont considérées commeappartenant au domaine. Mais des traditions séculaires donnent aux populations riveraines des droits d'usage très étendus, tant pour les produits ligneux que pour le pâturage. BOUDY a conçu un statut forestier tout imprégné de préoccupations sociales et a appliqué une politique forestière profondément
humaine. L'ordonnance, le « dahir » du 10 octobre 1917, sur la conservation
et l'exploitation des forêts, prévoit à la fois la protection de l'état
boisé et la réglementation du pâturage. Mais ces dispositions n'ont été
appliquées que progressivement, chaque cas régional faisant l'objet de décisions spéciales.
Le souci dominant a été de ne pas heurter les usagers
de la forêt et de ne pas compromettre leurs intérêts matériels. Grâce à
cette souplesse dans l'application des textes, on est parvenu à une véritable
éducation des populations qui, peu à peu, ont accepté un régime qui répondait
à leurs besoins et dont, par la suite, elles ont reconnu les avantages. Le cas le plus remarquable, et vraiment paradoxal, d'application du régime forestier, s'est présenté à propos de ces curieux peuplements clairs d'Arganier du sud marocain, si étroitement liés à la vie des populations qui en utilisent le bois, le feuillage et les fruits pour la nourriture des bestiaux, l'huile extraite des amandes pour l'alimentation humaine. En maintenant tous les droits d'usage, même la faculté d'installer des cultures, on a assuré la conservation et la régénération de ces peuplements.
Après sa retraite administrative, BOUDY s'est consacré à la rédaction de
son vaste ouvrage l'Economie forestière nord-africaine. Son but, a-t-il écrit,
était d'utiliser la documentation qu'il avait pu recueillir, les conclusions que
sa longue carrière lui permettait de formuler, pour mettre un instrument de
travail à la disposition des forestiers de l'Afrique du Nord. Le but a été
magnifiquement atteint. Son ouvrage est une somme de documents aussi bien
historiques et scientifiques que techniques et aussi un recueil de renseignements pratiques. Cette encyclopédie, axée sur la forêt nord-africaine, a une portée plus grande: les faits qui y sont décrits, les principes qui sont
énoncés sont valables non seulement pour tous les pays méditerranéens, mais, de façon plus générale, pour toutes les régions à climat aride où la coexistence de la forêt et de l'homme soulève les mêmes problèmes.
BOUDY laisse un grand exemple. Il a doté le Maroc d'une organisation
qui assure le maintien, la prospérité et l'utilisation rationnelle du domaine
boisé ; par son action opiniâtre et persuasive, il a gagné le pays à la cause
forestière. Son souvenir sera conservé et son oeuvre sera poursuivie.: les
dirigeants de l'agriculture du Maroc lui ont rendu un hommage reconnaissant
BOUDY a été dans le *domaine administratif un « grand commis»; techniquement,ce fut un grand forestier. Son oeuvre rappelle, avec bien plus d'ampleur, celle de DEMONTZEY qui fut l'organisateur de la restauration des montagnes. Avoir exercé son action hors de France, pour le bien d'une autre
nation, est un titre de plus.»
Ph. GUINIER.
http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/27396/RFF_1958_3_219.pdf?sequence=1