Opération bonne conscience
De notre envoyé spécial à El Bayadh, Tarek Hafid
Un centre d’élevage d’outardes houbara, financé par une fondation émiratie et soutenu par la Direction générale des forêts, a procédé, dimanche, à un lâcher d’oiseaux dans la région d’El-Bayadh. Les initiateurs de cet événement n’ont pas échappé à la polémique sur le massacre de cette espèce protégée par des privilégiés venus des pays du golfe Arabique.
Zeboudj. C’est dans cette immense pleine steppique située à deux heures de route de la ville d’El-Bayadh qu’ont été lâchées, dimanche, 175 jeunes outardes. De véritables stars filmées et photographiées sous tous les angles par une armée de reporters venue spécialement d’Alger pour couvrir l’événement. Un total de 1 000 autres oiseaux seront ainsi remis dans la nature au courant de cette semaine. Ils proviennent tous d’un centre de reproduction financé par l’EBBCC (Emirates Bird Breeding Center for Conservation), une fondation émiratie partenaire de la Direction générale des forêts. Les organisateurs ont souhaité faire de cet événement une grande opération de public relation. Mohamed Séghir Nouel, directeur général de la DGF, se prête au jeu. Il ne cache pas sa satisfaction. «C’est une initiative très importante car elle permet le repeuplement de cette espèce protégée. Il faut dire aussi que nous apprenons beaucoup de nos partenaires émiratis, car les techniques de reproduction de l’outarde houbara sont difficiles à maîtriser», explique-t-il à un groupe de journalistes. Mais les questions gênantes ne tardent pas à fuser. «Pourquoi l’outarde houbara est-elle en voie de disparition ?» Mohamed-Séghir Nouel accuse la sécheresse et le braconnage. «Qui sont les braconniers ?» Le directeur général des forêts pointe du doigt les populations locales. «Le braconnage n’est pas spécifique aux zones steppiques. Des braconniers il y en a autant aussi en Kabylie et à l’ouest du pays», indique-t-il. Les questions se font plus précises : «Pourquoi des ressortissants étrangers, originaires des pays du Golfe essentiellement, sontils autorisés à organiser de grandes campagnes de chasse dans la steppe et à abattre outardes et gazelles ?» Déstabilisé, le DGF fronce les sourcils. «Il n’y a jamais eu de chasse à l’outarde ici et nous n’avons jamais autorisé ni les Emiratis ni quiconque à chasser l’outarde ou la gazelle. Les chasses organisées par des Emiratis, des Qataris, des Koweïtiens et des Saoudiens n’existent pas. Il n’y a que la presse qui les voit. Nous, nous n’avons rien vu.» Donc les parties de chasse royale dans la steppe, les grandes battues en véhicules tout-terrains, les faucons, les campements protégés par les services de sécurité sont, en fait, sortis tout droit de l’imagination de méchants journalistes. Mais ce que ne savait pas encore Mohamed Séghir Nouel, c’est que les journalistes qui l’interrogeaient avaient vu, le jour même, un grand campement qui, après vérification, s’est avéré être celui de chasseurs qataris. Cette découverte était le fruit d’un pur hasard. S’étant trompé d’itinéraire, le cortège des minibus transportant les journalistes s’est retrouvé sur la route menant de Labiodh-Sidi- Cheikh à Béchar, soit à plus de 100 km du site réservé au lâcher d’outardes. Mohamed Séghir Nouel ne se laisse pas désarçonner. «Ce sont des Qataris chargés de construire une ligne de chemin de fer.» Le DGF termine ce point de presse improvisé en pleine steppe en recommandant aux membres de la presse de «positiver». Mais il suffira de quelques instants pour que la question des chasses princières refasse surface. Cette fois-ci, c’est un ingénieur britannique en charge du processus de reproduction au sein du centre financé par les Emiratis qui avoue l’existence de campagne de «chasse organisée». «L’outarde est un oiseau très menacé car il a plusieurs prédateurs naturels. Il fait également l’objet de braconnage mais surtout de chasse organisée. Nous avons constaté plusieurs cas de chasse organisée, mais nous ne connaissons pas les auteurs car ils bénéficient d’une protection sécuritaire», a expliqué cet expert. Une question se pose : comment se fait-il qu’un ressortissant étranger de passage en Algérie soit au courant d’un tel phénomène tandis que le directeur général des forêts, qui dispose de centaines d’agents sur le terrain, arrive jusqu’à en nier même l’existence ? Seuls quelques hauts responsables de l’Etat sont capables d’y répondre. Ceux-là mêmes qui ont érigé la chasse à l’outarde et à la gazelle comme «levier diplomatique» dans les relations avec les pays du Golfe.
T. H. »
Source: Le Soir d'Algérie du 2 octobre 2012
À titre de rappel: ce ne sont pas les riverains des forêts qui sont à l'origine de la dévastation des formations boisées que ce soit par le pâturage ou par les exploitations illicites. Là également il faut incriminer les gros possédants...autochtones cette fois.